Voici le premier blogue de la série Détective des os : les mystères des ossements retrouvés sous le centre-ville d’Ottawa portant sur les découvertes au cimetière de Barrack Hill. Lisez l’introduction à la série et consultez plus de publications, dont les liens sont disponibles ci-dessous.
Pendant plusieurs années, en travaillant au projet du cimetière de Barrack Hill, j’y ai découvert plein de mystères fascinants, dont il sera question dans cette série de blogues. Tandis que le projet avance et que l’analyse des ossements retrouvés progresse, les pièces du casse-tête commencent à s’agencer, après avoir longtemps été incompréhensibles.
(Young, 2016).
De quel bois s’agit-il?
(Young, 2016).
Au début des recherches sur le cimetière et les gens qui y reposent, j’ai envoyé au laboratoire un échantillon du bois dans lequel étaient fabriqués les cercueils. Le site étant plein de ces fragments de bois, j’ai donc pensé qu’on arriverait facilement à identifier l’essence d’arbre utilisé, puis à placer ces résultats dans le contexte historique de la fabrication des cercueils au 19e siècle. Mais l’analyse a été finalement peu concluante, ce qui m’a surprise. Pourquoi ne pouvait-on pas identifier cette essence d’arbre? La réponse m’est apparue étrange : parce qu’il s’agissait d’écorce. « Drôle de résultat », ai-je pensé, et je suis passée à autre chose. Au fond, qu’est-ce que ça pouvait bien changer qu’on sache de quel bois il s’agissait? En fait, j’aurais dû comprendre que, ce qui importait, ce n’était pas la sorte de bois, mais plutôt l’écorce.
Sépulture 2016-13 – Un mort profané
(Ben Mortimer, 2017).
(Young, 2019).
Les ossements retrouvés dans la sépulture 2016-13 étaient semblables à ceux d’autres adultes sur le site : l’homme avait survécu à une enfance marquée par les maladies jusqu’à l’âge adulte, mais était décédé avant ses 35 ans. Sa jambe cassée et mal guérie témoigne de son accès limité ou inexistant à une aide médicale. Il fumait la pipe et travaillait dur pour survivre.
Néanmoins, contrairement à d’autres ossements présents sur le site, les siens étaient marqués de traces et de trous sur plusieurs surfaces. Certaines de ces cavités contenaient une étrange substance dure qui m’était inconnue. Était-ce le produit d’une maladie? Un type de cancer? Ou un processus ayant affecté ses os après sa mort? La recherche ne faisait que commencer.
(Young, 2019).
Une interrogation, entourée de mystère, au sein d’une énigme
À ma surprise, c’est l’écorce qui nous a donné la clé de l’énigme. Pourquoi y avait-il de l’écorce dans les cercueils? Quiconque connait le moindrement le passé de Bytown sait que c’était une ville axée sur l’exploitation du bois. Depuis les tout débuts, des scieries avaient été construites pour débiter les billots et en faire des planches. Le processus consistait notamment à équarrir les billots, c’est-à-dire à retirer l’écorce et l’aubier avant de couper les planches. Les lattes ainsi produites n’avaient que très peu de valeur.
Même aujourd’hui, un camion plein de ces produits de l’équarrissage ne couterait que 20 $. Quel meilleur bois que celui-là pour fabriquer des cercueils à bas prix pour la classe économique la moins privilégiée de la ville? Il suffisait de tourner la partie portant l’écorce vers l’intérieur, et voilà! Cela permettait de fabriquer un cercueil sans aspérités apparentes.
(Image 1 : Young, 2023 ; Image 2 : Young, 2017)
Saviez-vous qu’au 19e siècle, il y avait un nombre extraordinaire de coléoptères à Bytown? Certains étaient qualifiés de « vaches d’Ottawa » (Monohammus confusor Kirby ou longicorne noir) car on entendait leurs larves, la nuit, gruger les billots dans les cours à bois.
Cette espèce particulière creuse sous l’écorce et y pond ses œufs. Les larves qui en émergent mangent tout ce qu’elles trouvent : le bois, les édifices, le liège, les livres, les moulures de plastique, le mortier, les pierres des murs, les câbles de plomb, et aussi, comme je l’ai découvert, les ossements humains, ce qui aurait causé les marques. Quand les larves sont prêtes à se métamorphoser, elles creusent dans le substrat et tapissent leur cocon des déchets produits par leur nourriture. Ces déchets se nomment « frass », et les étranges dépôts que j’ai trouvés dans les trous d’ossements de la sépulture 2016-13 y correspondent parfaitement, ce qui confirme qu’il s’agit bien des excréments de cet insecte tandis qu’il entamait le squelette.
Cette horrible fin, pour la dépouille d’un homme, nous a inspiré l’expression « Un mort profané », car, une fois couché six pieds sous terre, son corps a été envahi par ces coléoptères qui s’y alimentaient et y faisaient leur nid, profanant ainsi le caractère sacré de l’inhumation et le repos éternel.
(Archives Internet).
(Image 1 : Young 2023 ; Image 2 : Amateur Entomologists’ Society)
En savoir plus
Pour en savoir plus sur les découvertes dans le cimetière de Barrack Hill, lisez la série de blogues Détective des os : les mystères des ossements retrouvés sous le centre-ville d’Ottawa
Janet Young
Janet Young est spécialisée dans l’étude des restes humains et travaille au Musée depuis 1994.
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