Lorsque l’école a renvoyé ses enfants à la maison en mars 2020 au début du premier confinement lié à la COVID-19, Dawna Doell, une maman de la Saskatchewan, a décidé que leur première leçon à domicile serait d’apprendre à cuisiner à partir d’une recette. Elle a mis en ligne les résultats de leur expérience culinaire; la publication est devenue virale. C’est ainsi qu’elle a décidé de créer un groupe Facebook pour les personnes en quarantaine à la maison afin de partager des recettes et des conseils dans un environnement convivial et solidaire. Le groupe a fini par créer un livre de cuisine, puis plusieurs autres, tous devenus des succès de librairie, dont les recettes étaient partagées par les membres de leur grande communauté Facebook très unie.
La communauté des livres de cuisine
Les livres de cuisine, remplis de recettes perfectionnées et transmises à travers le pays grâce à la technologie numérique, ne sont pas si différents des livres de cuisine communautaires partagés et créés avant l’arrivée de l’Internet. Ce sont des instantanés qui illustrent une époque, un lieu et des personnes en particulier. Cependant, au lieu d’une communauté culturelle ou religieuse, ces livres de cuisine nous offrent des images, tels des tableaux de la vie domestique en temps de pandémie.
Le Musée canadien de l’histoire a récemment acquis un exemplaire du premier The Official Quarantine Cookbook (Livre de cuisine officiel de la quarantaine) dans le cadre de son projet visant à consigner les expériences de la population canadienne pendant la pandémie. Pour bien des Canadiens et des Canadiennes, la cuisine et la pâtisserie ont été, et continuent d’être, un aspect important de la vie pendant la pandémie. Elles nous offrent une perspective à travers laquelle examiner et vivre le deuil, la nostalgie et le réconfort.
Trouver de la farine
Au début de la pandémie, alors qu’il était encore courant d’accumuler du papier hygiénique et du désinfectant pour les mains, quelques autres articles curieux ont commencé à s’envoler des rayons des épiceries : la farine et la levure. L’obsession de faire du pain avait gagné toute la population. Au premier coup d’œil, il semblait simplement que les gens avaient trouvé un nouveau passe-temps savoureux auquel s’adonner pendant un séjour forcé à la maison 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, mais cette passion dévorante pour la fabrication du pain nous en dit un peu plus sur certains des changements fondamentaux que nous avons subis à partir de mars 2020.
Pourquoi cet intérêt soudain pour la fabrication du pain? Pour beaucoup de gens qui travaillaient désormais à domicile ou qui étaient contraints de rester à la maison en raison de la fermeture de leur entreprise, avoir le temps de préparer la pâte et la laisser lever avant de la faire cuire étaient un nouveau luxe, tout comme le besoin de trouver des activités à domicile pour éviter de se sentir encabanés. Le pain nous nourrissait, nous et nos familles, avec des ingrédients simples, à une époque où la stabilité de nos chaines d’approvisionnement était compromise.
Partager les fruits de notre travail
Plus important encore, la fabrication du pain représentait aussi une chose que nous pouvions contrôler, aussi minime soit-elle. Même aux prises avec un sentiment d’impuissance face au reste du monde, nous pouvions contrôler notre levain. Nos foyers ont été la scène de mille et un essais culinaires, des baguettes aux bagels de style montréalais, en passant par les paninis.
Lorsque nous avons enfin pu revoir les membres de notre famille, nous leur avons apporté des miches chaudes de challa tressées à la main avec soin. Nous les avons mangées lors d’un repas destiné à commémorer simultanément toutes les célébrations, toutes les fêtes, tous les décès et tous les anniversaires que nous n’avions pas pu souligner ensemble pendant le confinement.
Le besoin de manger ne change pas
Selon le sémioticien Roland Barthes, la nourriture est à la fois le siège et le symbole de tout un environnement social. Les aliments quotidiens racontent souvent des histoires à notre insu. Par ailleurs, les recettes, images et pratiques culinaires communiquées par les livres de cuisine de la quarantaine et les médias sociaux montrent que, pendant la pandémie, partager nos habitudes alimentaires est devenu un moyen interposé de transmettre des expériences parfois concurrentes et distinctes.
Tout le monde n’a pas vécu la pandémie de la même manière. Or, bien que nous ayons tous et toutes profité de la pandémie à différents degrés, et malgré une diversité de capital économique, social et de santé, manger est un acte commun, voire universel l. Même si nos vies ont été bouleversées en mars 2020, nous avions quand même besoin de manger.
Manger ensemble
Les recettes familiales qui nous sont familières nous ont apporté du réconfort alors que nous pleurions le décès de nos proches. La découverte de nouvelles recettes ajoutait une touche d’excitation à la monotonie de la pandémie. Lorsque nous étions suffisamment à l’aise pour revoir nos êtres chers, nous l’avons fait autour d’un repas et d’un verre. La commensalité et la proximité ont pris une importance et un sens nouveaux, plus profonds.
Tantôt une célébration, tantôt un processus permettant de gérer des émotions complexes, la cuisine peut aussi être une obligation, répondant aux besoins de la famille plutôt qu’à un plaisir personnel. Malgré le caractère ordinaire et quotidien des gestes qui leur sont associés, les modes d’alimentation sont porteurs de sens.
On continue à cuisiner
Un objet à la fois, nous créons une collection qui offre un aperçu des diverses expériences des Canadiens et Canadiennes pendant la pandémie. Des documents tels que The Official Quarantine Cookbook montrent comment nous communiquons à l’aide de la nourriture. Les recettes que renferment ses pages, amassées et recueillies pendant des jours difficiles, continueront d’être cuisinées, partagées et appréciées longtemps après la fin de la pandémie, faisant partie de notre quotidien dans un nouveau monde après la COVID-19.