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Mise en contexte du « Convoi de la liberté » et des manifestations liées à la pandémie

Auteurs

Publié

14 févr. 2023


Ce mois-ci marque le premier anniversaire de la fin de la manifestation, connue sous le nom de « Convoi de la liberté », qui a duré plus d’un mois. C’est aussi le premier anniversaire du recours à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral – une première historique au Canada –. Celle-ci avait pour but de mettre fin à l’occupation, par les gens qui manifestaient et leurs véhicules, des rues de la capitale fédérale. Elle visait aussi à répondre aux blocages des principaux postes frontaliers et aux manifestations similaires, mais de plus petite envergure, dans tout le pays. Au cours des prochains jours, la Commission sur l’état d’urgence (CEDU) publiera son rapport, lequel comprendra des recommandations sur les modifications possibles à la Loi sur les mesures d’urgence et sur la façon dont elle pourra être invoquée à l’avenir.

Les sentiments à l’égard du convoi demeurent vifs dans tout le pays, mais surtout dans la région d’Ottawa-Gatineau. Le nettoyage dans la foulée des protestations a été rapide. Si rapide qu’il a rendu difficile la collecte de tout objet. Néanmoins, l’équipe de recherche du Musée canadien de l’histoire s’efforce de rassembler de la documentation sur ce moment important de l’expérience canadienne en matière de pandémie, dans le cadre de ses efforts élargis pour documenter la pandémie de COVID-19.

Manifestations passées et actuelles liées à la santé publique

S’il a été difficile de recueillir des objets lors des protestations du convoi à Ottawa, les gens qui supportaient la manifestation contre le mandat de la santé publique ont organisé des rassemblements et des activités dans tout le pays. Ces dépliants, par exemple, ont été remis à une mère résidente d’Ajax, en Ontario, au début du mois de février 2022, alors qu’elle allait chercher son enfant à l’école. En arrivant chez elle, elle s’est rendu compte que les dépliants demandaient de mettre fin aux obligations de port du masque et de vaccination contre la COVID-19, en plus d’avancer des affirmations sur les dangers des vaccins et d’autres mesures de santé publique, comme le port du masque et la distanciation physique.

Se décrivant comme un mouvement populaire fondé sur des « principes bibliques judéo-chrétiens », le groupe Action4Canada vise à unir la population canadienne dans une opposition aux politiques qu’il considère comme nuisibles à la société. Il est connu pour ses opinions tranchées sur la liberté d’expression et son opposition à ce qu’il appelle « l’islam politique », « les politiques LGBTQ » et la technologie 5G. Ces dépliants contiennent de nombreuses allégations qui contredisent les preuves scientifiques reconnues et les conseils de santé publique de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de Santé Canada. Un grand nombre de ces théories du complot se sont propagées ou se propagent encore. Comme pour les mouvements de protestation antivaccins et contre la santé publique du passé, les actions de groupes comme Action4Canada montrent comment la peur et la désinformation peuvent se développer en cas d’urgence sanitaire.

Action4Canada flyers handed to parents as they picked up their children from an Ajax, Ontario school in February 2022.

Dépliants d’Action4Canada remis à des parents au moment d’aller chercher leurs enfants dans une école d’Ajax, en Ontario, Février 2022.

MCH 2022.50.1.

Left: “Battle of Billings Bridge” t-shirt given to Robert Talbot by a neighbour. Right: Selfie taken by Talbot during his participation in the “Battle of Billings of Bridge,” February 13, 2022.

Gauche : Teeshirt « Battle of Billings Bridge » donné à Robert Talbot par un voisin. Droite : Un égoportrait pris par M. Talbot lors de sa participation à la « bataille Billings Bridge », 13 février 2022.

Gauche : MCH 2022.39. Droite : Aucune accréditation.

Réponse de la collectivité : la « bataille de Billings Bridge »

Il était également important de recueillir les points de vue des gens résidant à Ottawa pendant les manifestations. La fin de semaine des 12 et 13 février a été un moment marquant du convoi, alors que certaines personnes habitant le centre-ville, frustrées par l’inaction de la police, ont organisé leurs propres activités. La « bataille de Billings Bridge » a été l’une des initiatives communautaires les plus médiatisées. Elle a été organisée sur des groupes locaux de médias sociaux et était destinée à empêcher d’autres groupes et individus de pénétrer dans le centre-ville pour rejoindre la manifestation.

Robert Talbot a décidé de se rendre au point de contrôle de Billings Bridge en signe de solidarité et de frustration. Habitant le centre-ville d’Ottawa, M. Talbot, sa compagne et leurs jeunes enfants ont été témoins et victimes du bruit, des panneaux obscènes, de la pollution sonore et atmosphérique élevée, de la conduite dangereuse. Le fils de 11 ans de M. Talbot et de sa conjointe a même subi du harcèlement lié au port du masque alors qu’il rentrait de l’école à pied vers le cœur de la ville. La famille a décidé de contrer ce qu’elle considérait comme une appropriation du drapeau canadien par le convoi en affichant des pancartes faites à la main sur la fenêtre avant de leur maison, sur lesquelles on pouvait lire « It’s our flag too! » (C’est aussi notre drapeau!) et « We [heart] Science! » (Nous avons la science à [cœur]!!).

Affiches de fenêtre confectionnées par la famille de Robert Talbot.

MCH 2022.39.

Révision ou réforme? Commissions d’enquête

Left: Canadians could pledge their support for striking workers through Workers’ Liberty Bonds. Right: Winnipeg Special Police billy club.

Gauche : La population canadienne pouvait s’engager à soutenir les grévistes par l’entremise des Obligations de la liberté, financées par des dons au Fonds de défense gérés par le Conseil des métiers et du travail de Winnipeg et la One Big Union. Droite : Matraque de la police spéciale de Winnipeg.

Gauche : Obligations de la liberté, 1919.MCH M-555 a-b. Droite : Conservée par J. S. Woodsworth, ministre protestant et activiste social, 1919, Don de Grace MacInnis, MCH D-9261.

Quant au type de réformes ou de changements que la Commission pourrait recommander dans son rapport, les enquêtes sur la sécurité publique et la police menées dans le passé fournissent un contexte utile. En mai 1919, un groupe ouvrier de Winnipeg d’environ 30 000 personnes, en colère contre l’inflation élevée, les conditions de travail lamentables et les droits du travail minimaux (en particulier les droits de négociation collective), a rejoint une grève des métiers du bâtiment déjà en cours. La grève générale de Winnipeg a généré d’importantes grèves de sympathie dans tout le pays, accentuant les tensions dans la ville. Le gouvernement et le milieu des affaires ont réagi rapidement : des forces spéciales composées de 1 800 personnes sont venues en relève à la police municipale révoquée. Le 21 juin 1919, la Police à cheval du Nord-Ouest a réprimé avec force une dernière manifestation de masse, qui s’est soldée par deux morts, 34 personnes blessées et 84 arrestations.

Un aspect souvent négligé de la fin de la grève a été la création d’une commission royale spéciale négociée entre les grévistes et le gouvernement provincial du Manitoba pour enquêter sur les facteurs qui ont mené au conflit de travail et sur les solutions possibles. Dirigée par Hugh Amos Robson, juriste provincial respecté, la Commission a mis à nu, dans son rapport, les disparités croissantes entre les classes sociales dans le Winnipeg de l’après-guerre, affirmant ceci : « il y a eu et il y a maintenant un étalage croissant d’extravagance et de luxe insouciants et oisifs, et d’autre part, une intensification de la privation. » Bien que nombre de ses recommandations, en particulier celles liées aux droits de négociation collective, sont restées lettre morte pendant des décennies, le rapport demeure une perspective précieuse sur les conditions économiques de l’époque.

Winnipeg Special Police arm band, 1919.

Winnipeg Special Police arm band, 1919.

Gift of the Winnipeg Police Museum, CMH, 2006.25.3.

La crise d’Octobre et la Loi sur les mesures d’urgence

Un exemple plus récent d’enquête après une situation d’urgence publique est survenu à la suite de la crise d’Octobre au Québec, en 1970. Pour la première fois en temps de paix, la Loi sur les mesures de guerre, qui accordait aux autorités des pouvoirs étendus de perquisition et de détention, a été invoquée.

Young man holds a newspaper that says 'War Measures Act Invoked"

Gauche : Camelot pour l’Ottawa Journal annonçant l’invocation de la Loi sur les mesures de guerre, 16 octobre 1970. Droite : Casque de protection balistique, Années 1960.

Gauche : Photo de Peter Bregg, Presse canadienne 9224239. Droite : MCG 19810910003.

Après la crise, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral ont mis sur pied des commissions d’enquête sur la suspension des libertés civiles et sur les enjeux éthiques des interventions policières à ce moment. Les recommandations des deux enquêtes provinciales au Québec étaient principalement axées sur la prévention des abus de pouvoir de la part de la police lors de crises futures, tandis que la Commission McDonald fédérale, de plus grande envergure, portait sur le comportement de la GRC pendant et après la crise d’Octobre, y compris les descentes illégales dans les sièges des partis politiques et les bureaux des médias. Il faudra des années pour mettre en œuvre les recommandations de cette dernière, mais cela entrainera des changements importants, notamment le transfert des responsabilités en matière de sécurité nationale de la GRC à un nouvel organisme, le Service canadien du renseignement de sécurité, en 1984, ainsi que le remplacement de la Loi sur les mesures de guerre, en 1988, par la Loi fédérale sur les mesures d’urgence. Celle-ci prévoit une portée plus étroite des pouvoirs à appliquer en cas d’urgence nationale (surtout par rapport aux pouvoirs policiers), en plus d’octroyer un plus grand contrôle parlementaire. Elle impose aussi un examen complet après chaque invocation de ses pouvoirs.

Il reste à voir si cette enquête déclenchera des changements substantiels et si elle deviendra un autre document pour la communauté historienne de demain, mais ces différentes perspectives s’avèreront sans aucun doute précieuses pour les explorations futures de l’expérience canadienne en matière de pandémie.

Autres lectures

  • Tom Mitchell, « Strike or Revolution? H.A. Robson’s Inquiry and the Winnipeg General Strike », Manitoba Law Journal, vol. 42 (no 2), p. 56-84.
  • Reg Whitaker, Gregory S. Kealey et Andrew Parnaby, Secret Service: Political Policing in Canada from the Fenians to Fortress America (Toronto: University of Toronto Press, 2012).
Photo de James Trepanier

James Trepanier

James Trepanier est entré au service du Musée en 2013 et a été membre de l’équipe responsable de la salle de l’Histoire canadienne, qui a ouvert ses portes en 2017. Il a dirigé la création de contenus liés à la diversité et aux droits de la personne, à l’histoire sociale et politique du 20e siècle, à l’histoire et à l’héritage des pensionnats pour Autochtones, ainsi qu’à la croissance et à la réforme sociale du début du 20e siècle.

Lire la notice biographique complète James Trepanier
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