L’histoire des personnes noires au hockey noir au Canada est plus ancienne qu’on ne pourrait le croire. C’est ce dont il est question dans un épisode d’Artéfactualité, une série de balados qui imagine un musée du futur entièrement constitué d’histoires que nous nous racontons. Dans « Briser la glace », Elizabeth Cooke-Sumbu, dirigeante communautaire en Nouvelle-Écosse, parle de son grand-père Frank Cooke, vedette de la Coloured Hockey League of the Maritimes (CHLM), et l’homme politique Percy Paris évoque ses jeunes années passées à jouer au hockey sur un étang gelé et les défis auxquels il a été confronté en tant que jeune joueur de hockey noir. L’épisode se penche aussi sur l’histoire de la CHLM, qui a récemment fait l’objet d’un timbre-poste et d’un documentaire, intitulé Black Ice. De nombreux détails sur la CHLM restent étonnamment inconnus : qui étaient les hommes qui jouaient dans cette ligue et que s’est-il passé après qu’elle a cessé d’exister, vers 1935?
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Une histoire familiale surprenante
Elizabeth Cooke-Sumbu a été surprise d’apprendre que son grand-père, Frank Cooke, avait joué dans la CHLM. Comme beaucoup d’autres hommes de sa génération, il n’a pas beaucoup parlé de son temps avec la ligue. C’est pourquoi l’histoire remarquable de cette ligue de hockey masculine exclusivement pour les Noirs est restée pratiquement oubliée jusqu’à ce que des membres de la famille commencent à fouiller dans ce passé. Au cours des 20 dernières années, des membres de la descendance d’anciens joueurs, comme Elizabeth, et de la communauté historienne ont commencé à reconstituer l’histoire de cette ligue pionnière et de son rôle dans le sport canadien. Il s’agissait de tout un défi, car les joueurs n’ont pas souvent laissé des traces matérielles, comme des chandails de hockey, ou écrites de leur expérience. Mais Elizabeth possédait cette précieuse photo de famille de son grand-père, vedette des Royals d’Amherst de la CHLM et vétéran de la Première Guerre mondiale, décédé dans les années 1960.
Musée canadien de l’histoire 2022.20.1
La Coloured Hockey League of the Maritimes
La Coloured Hockey League of the Maritimes, ou CHLM, a été fondée en 1895 par des directions d’églises pour la communauté noire en Nouvelle-Écosse, afin d’amener de jeunes hommes noirs à fréquenter l’église. La ligue s’est rapidement étendue à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick. À son apogée, dans les premières années du XXe siècle, la CHLM comptait plus de 100 joueurs et 12 équipes, dont les Jubilees de Dartmouth, les Sea-Sides d’Africville, les Royals d’Amherst et les West End Rangers de Charlottetown.
Le style de jeu de la ligue était réputé rapide, physique et innovant. Les membres de la ligue sont considérés comme les pionniers de techniques qui sont aujourd’hui monnaie courante dans le hockey moderne : Eddie Martin aurait développé une première forme du lancer frappé, alors que Henry « Braces » Franklin était reconnu pour s’agenouiller afin d’arrêter la rondelle, un geste aujourd’hui connu sous le nom de technique « papillon ». Beaucoup de gens au sein de la descendance de joueurs de la CHLM soulignent l’importance de la ligue dans le renforcement de la camaraderie entre les joueurs et les communautés noires de l’est du Canada.
Photo gracieuseté du Temple de la renommée sportive de la Nouvelle-Écosse. Artefact 995.05.01.
La barrière de la couleur
L’existence d’une ligue de hockey pour les hommes noirs remet en question l’idée que le hockey s’adresse à tout le monde. De nombreux groupes canadiens ont historiquement pratiqué ce sport, mais pas nécessairement ensemble. Bien qu’il n’y ait pas eu beaucoup de lois raciales au Canada au début du XXe siècle, des coutumes locales ségrégationnistes déterminaient les lieux où certaines personnes pouvaient vivre, jouer et aller à l’école. Elizabeth, la petite-fille de Frank Cooke, se souvient de son enfance :
« Nous avions des endroits où nous pouvions aller et d’autres où nous ne pouvions pas aller. On n’allait pas au restaurant. Si on allait au théâtre, il y avait une section où il fallait s’assoir. Nous avions notre propre église noire. Il y avait certaines zones où l’on se faisait enterrer. Il y a plusieurs cimetières dans notre communauté où les personnes noires étaient enterrées au fond. » – Elizabeth Cooke-Sumbu
La fin de la CHLM
La ligue a connu des hauts et des bas au cours de son existence, et les équipes de la CHLM ont souvent eu un accès limité et loin d’être idéal aux patinoires, ce qui raccourcissait la durée de leur saison. À la fin des années 1930, la Grande Dépression et le début de la Seconde Guerre mondiale ont contribué à la disparition de la ligue. Mais les personnes noires ont continué de jouer au hockey. Willie O’Ree, de Fredericton, en est l’exemple le plus éminent. Il est devenu le premier joueur noir de la Ligue nationale de hockey (LNH) lorsqu’il a rejoint les Bruins de Boston, en 1957. Mais nous savons aussi qu’il y a eu une continuité grâce à une nouvelle génération qui s’est imposée dans les années 1960 et 1970.
Le hockey sur étang et les rats de patinoire
Percy Paris a grandi en faisant du sport et reconnait à son père le mérite d’avoir veillé à ce que la famille joue au baseball l’été et au hockey l’hiver. Percy a développé ses compétences et son agilité en jouant au hockey sur étang dans les années 1950 et 1960. Se décrivant lui-même comme un « rat de patinoire », il passait également beaucoup de temps à la patinoire locale. Là, il a pu assister à des matchs gratuitement et profiter du temps de glace libre pour disputer des matchs avec ses camarades. La tradition communautaire de l’équipement d’occasion des amis et des frères plus âgés a permis à Percy et à d’autres de compenser les couts prohibitifs de la pratique du hockey.
Lorsqu’ils n’étaient pas sur la glace ou en train de regarder des matchs, Percy et ses camarades lisaient Hockey News pour savoir qui avait marqué des buts, parcourant les pages à la recherche de nouvelles sur des joueurs noirs, comme Willie O’Ree, Herb Carnegie et Stan « Chook » Maxwell, qui étaient bien connus de la Ligue de hockey junior du Québec. Ces joueurs ont inspiré Percy et l’ont incité à poursuivre une carrière de hockeyeur professionnel. Il a même découvert plus tard que Maxwell était un parent éloigné.
« Quand j’étais jeune, ceux d’entre nous qui étaient d’origine africaine, nous cherchions des héros qui nous ressemblaient. » – Percy Paris
Photo gracieuseté du Temple de la renommée sportive de la Nouvelle-Écosse. Artefact 996.225.01.
Percy Paris et la première ligne entièrement noire
Même s’il n’a pas immédiatement réussi à intégrer les Huskies de l’Université Saint Mary’s, Percy a continué à jouer dans différentes ligues de la région de Halifax. En 1970, lorsqu’ils ont tous trois reçu l’appel pour se joindre aux Huskies, Percy Paris, Bob Dawson et Darrell Maxwell ont fait partie de la première ligne d’attaque entièrement noire de l’histoire du hockey universitaire. Malgré leurs exploits, Percy et les autres joueurs noirs étaient encore victimes d’insultes et de moqueries raciales qui étaient monnaie courante à l’époque.
« Pendant des années et des années, j’ai joué au hockey de compétition pour hommes [censés être des gentlemans]. C’est avec une certaine ironie que je parle de gentlemans. Beaucoup de jeux n’étaient pas très courtois. Des insultes raciales étaient encore proférées à mon encontre. » - Percy Paris
Bien que Percy Paris et Elizabeth Cooke-Sumbu reconnaissent que les relations raciales se sont améliorées dans les Maritimes, les deux insistent sur le fait qu’il y a encore du travail à faire. Outre la persistance du racisme, le prix élevé de l’inscription et de l’équipement reste un obstacle systémique à la participation des nombreuses personnes issues de communautés marginalisées.
La nouvelle histoire du hockey
Le sport peut être une source de fierté nationale, mais il peut tout aussi bien refléter les divisions de la société. La Coloured Hockey League et les récits d’Elizabeth Cooke-Sumbu et de Percy Paris nous rappellent que l’histoire du sport au Canada ne se limite pas aux vedettes des ligues professionnelles. La CHLM est plus qu’une simple curiosité historique. Elle illustre plutôt une lacune injuste et persistante dans l’histoire du hockey. Elle nous montre également que les aspects inattendus et passionnants du hockey ne se produisent pas seulement sur la glace : ils sont aussi ancrés dans l’histoire du sport et dans les récits des gens qui l’ont pratiqué avant nous.
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